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triompheront, et justice ne me sera rendue que quand cette main sera aussi froide que leur cœur. »

Aussi, partout où il passa laissa-t-il la trace que laisse le feu : il éblouit, réchauffa ou brûla.

En 1821, Byron quitta Venise, — Venise, dans les rues de laquelle personne ne l’avais vu marcher ; la Brenta, sur les rives de laquelle personne ne l’avait jamais vu se promener ; cette place Saint-Marc, dont il n’avait, disait-on, jamais contemplé les merveilles que du haut d’une fenêtre, tant il craignait de révéler aux beautés de Venise la légère difformité de sa jambe, que ne pouvait parvenir à dissimuler la largeur de son pantalon.

De Venise, il se rendit à Pise. Là, deux nouvelles douleurs l’attendaient : la mort d’une fille naturelle qu’il avait eue d’une Anglaise, et dont il envoya le corps en Angleterre, et la mort de son ami Shelley, qui se noya en allant de Livourne à Lerici.

Pour épargner au cadavre les discussions que n’eussent pas manqué de soulever les prêtres italiens, il fut résolu qu’on le brûlerait à la manière antique.

Trélauney, le hardi pirate, était là ; il raconte ces étranges funérailles, comme il raconte sa chasse au lion, son combat avec le prince malais. Digne compagnon du noble poëte et poëte lui-même, son livre est une source de tableaux merveilleux, d’autant plus merveilleux qu’ils sont toujours vrais, quoique toujours incroyables.

« Nous étions sur le rivage, dit Trélauney ; devant nous étaient la mer avec ses îles, derrière nous les Apennins, et, à côté de nous, un immense bûcher dont la flamme fouettée par le vent de mer, prenait mille formes plus fantastiques les unes que les autres. Le temps était très-beau ; les vagues assoupies de la Méditerranée baisaient mollement le rivage ; le sable, d’un jaune d’or, contrastait avec l’azur profond du ciel ; les montagnes dressaient jusqu’aux nues leurs cimes