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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

d’amour et de poésie, il le versa aux pieds du Seigneur en mélodieux accords.

Les détails de la cérémonie m’échappent complètement. J’étais absorbé dans une profonde contemplation. Je me souviens d’un ensemble plein d’espérance et de lumière. Aussi, autant qu’on peut voir dans le ciel avec les yeux de la foi, j’y ai vu ce jour-là, et l’éblouissement fut si vif lorsque l’hostie toucha mes lèvres, que j’éclatai en sanglots, et que je m’évanouis.

M. l’abbé Remy n’y comprenait rien.

C’est que, dès cette époque, il y avait en moi un respect profond pour tout ce qui est saint, une religieuse adoration pour tout ce qui est grand ; toute flamme céleste allumait en moi un foyer intérieur, qui se répandait immédiatement au dehors comme la lave d’un volcan dont le cratère est trop plein.

Je fus deux ou trois jours à me remettre de cet ébranlement. L’abbé Grégoire vint me voir ; je me jetai dans ses bras en pleurant.

— Mon cher ami, me dit-il, j’aimerais mieux que ce fût moins vif et que cela durât.

C’était un homme plein de sens que l’abbé Grégoire.

Non, cher abbé, cela ne dura point, ; non, comme je l’ai dit, je ne fus point l’homme de la pratique religieuse. Il y a même plus, cette fois où je m’approchai de la sainte table fut la seule ; mais — je puis le dire à vous, mort, comme je le dirais à vous, vivant — quand la dernière communion viendra à moi comme j’ai été à la première, quand la main du Seigneur aura fermé les deux horizons de ma vie, en laissant tomber le voile de son amour entre le néant qui précède et le néant qui suit la vie de l’homme, il pourra, de son regard le plus rigoureux, parcourir l’espace intermédiaire, il n’y trouvera pas une pensée mauvaise, pas une action que j’aie à me reprocher.