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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Pauvre esprit faussé que j’étais ! j’eus un moment de joie, une heure d’orgueil à ce bruit, qui eût dû me faire rougir de honte, parce que j’avais laissé croire une chose qui n’était pas.

Je portai bientôt la peine de ma mauvaise action. D’abord, ce bruit me brouilla avec la personne qui en était l’objet ; madame Lebègue me crut plus coupable que je ne l’étais ; elle m’accusa d’avoir fait naître cette calomnie. Sur ce point, elle se trompait : je l’avais laissée vivre, laissée grandir, voilà tout.

Il est vrai que c’était bien assez.

Elle me ferma sa maison, maison amie à moi et à ma mère, et qui, dès lors, nous devint hostile à tous deux.

Madame Lebègue ne me pardonna jamais. Dans deux ou trois circonstances de ma vie, je me sentis piqué de l’aiguillon de la haine qu’elle m’avait vouée. Je n’essayai jamais de rendre la blessure reçue ; je sentais, dans ma conscience, que j’avais mérité de la recevoir.

Partout où j’ai rencontré depuis madame Lebègue, j’ai détourné la tête devant elle, j’ai baissé les yeux devant son regard.

Le coupable avouait tout bas son crime. Aujourd’hui, il l’avoue tout haut.

Mais aussi, cette confession faite, je puis dire hardiment au reste de l’humanité, hommes ou femmes : « Regardez-moi, et essayez de me faire rougir ! »

Le lendemain de cet événement, j’eus la curiosité de visiter le lieu du combat. Je ne m’étais pas trompé : la pierre sur laquelle avait porté la tête de mon adversaire était ensanglantée à son aspérité la plus aiguë, et quelques cheveux dont la couleur me confirma dans mes soupçons, — qui, d’ailleurs, étaient déjà devenus une certitude avant cette dernière preuve, — étaient demeurés attachés à ce sanglant vestige. Le soir, je vis Adèle : elle ignorait encore ce qui m’était arrivé.

Je lui contai tout ; je lui dis qui je soupçonnais : elle se refusait à croire.