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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ses épaulettes de général et sa petite queue, tout, dis-je, tendait ou à la dépréciation, ou, ce qui est bien pis, au ridicule.

Les Vêpres siciliennes avaient été jouées à l’Odéon, le 23 novembre 1819, avec un succès foudroyant. Pourquoi ? Il eût été difficile de le dire, à quelqu’un qui eût lu la pièce en se plaçant en dehors de toutes les passions. Pourquoi faisait-on queue, dès trois heures, à la porte de l’Odéon ? pourquoi s’entassait-on à étouffer dans cette magnifique salle, où, dès cette époque, on était d’ordinaire si fort à l’aise ? Pour entendre quatre vers, dans lesquels on voyait une allusion aux empiétements politiques que se permettait, disait-on, le ministre favori du roi.

Voici ces quatre vers. Ils étaient pourtant bien innocents, on en conviendra :

De quel droit un ministre, avec impunité,
Ose-t-il attenter à notre liberté ?
Se reposant sur vous des droits du diadème,
Le roi vous a-t-il fait plus roi qu’il n’est lui-même ?

Eh bien, ces quatre vers soulevaient des tonnerres d’applaudissements, des salves de bravos !

Et puis il fallait entendre le concert d’admiration entonné par toutes les feuilles libérales, en l’honneur du jeune poëte national. Le parti tout entier le caressait, l’adulait, l’exaltait.

Quelques temps après les Vêpres siciliennes jouées à l’Odéon, le Théâtre-Français, le 5 novembre 1819, avait représenté Louis IX.

C’était un pendant royaliste donné par le premier théâtre à la tragédie libérale de l’Odéon.

Certes, il y avait une valeur à peu près égale, à cette époque, entre Ancelot et Casimir Delavigne, et Louis IX, aux yeux des juges impartiaux, valait bien les Vêpres siciliennes.

Bah ! tout le bruit, tous les applaudissements, tout le triomphe fut pour le poëte libéral.

C’est qu’il y avait dans la nation un souffle puissant, respi-