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mière communion, qui serait retaillé sur un patron moderne, et remis à la mode nouvelle.

» Pendant que tous ces préparatifs de séduction se faisaient, l’écolier, comme il avait dit à sa mère, continuait de faire la cour ; mais, fort brave en paroles, fort habile en théorie loin de la belle doña Lorenza, il était fort timide d’action, fort maladroit en pratique près d’elle. Tout en ayant l’air d’attendre avec impatience le tête-à-tête, il ne craignait rien tant que de rester seul avec elle ; alors, il perdait complètement l’esprit, se taisait au lieu de parler, se tenait coi au lieu d’agir : les plus belles occasions lui étaient offertes, et il les laissait échapper. L’impatiente Madrilègne avait beau lui faire comprendre que tout ce temps était du temps perdu, et que le temps perdu ne se rattrape jamais, il était de son avis au fond du cœur ; il enrageait contre lui-même, chaque soir en rentrant chez lui, et, en récapitulant les occasions de la journée, il se promettait de ne pas laisser échapper ces occasions le lendemain, si ces occasions se représentaient. Puis il lisait, pour se monter la tête, un chapitre de Faublas, s’endormait là-dessus, faisait des rêves, pendant lesquels il était d’une audace étourdissante. Le jour venu, il se faisait serment à lui-même de continuer ses rêves de la nuit. Puis, en attendant les bottes et le pantalon collant, qui se confectionnaient avec une lenteur toute provinciale, il repassait sa culotte courte, son gilet de basin, son habit bleu barbeau, et reprenait ses promenades stériles dans la forêt. Il regardait avec un œil de tristesse les beaux matelas de mousse qu’il foulait aux pieds, et sur lesquels il n’osait pas même offrir à sa compagne de s’asseoir, les belles profondeurs de verdure sous lesquelles elle ne demandait pas mieux que de s’enfoncer avec lui. Il allait jusqu’aux frémissements, jusqu’aux soupirs, jusqu’aux serrements de main, mais c’étaient là les limites les plus avancées de sa hardiesse. Une fois, seulement, il baisa la main de doña Lorenza, — c’était la veille du jour où il devait se présenter à elle avec son costume de conquête, — mais il lui fallut un tel effort pour accomplir cet acte de témérité, qu’après l’avoir accompli, il faillit se trouver mal.