éclats de rire étouffés, qui avaient éveillé mon inquiétude, M. Mennesson éleva la voix :
— Mon cher collègue, dit-il, c’est un chapitre du Diable boiteux, retrouvé et encore inédit, que je compte faire imprimer à mon prochain voyage à Paris, pour compléter l’œuvre de Lesage.
— Ah ! dites-moi cela, reprit Lebègue ; je le raconterai à ma femme, qui le racontera à ses sœurs, qui le raconteront à tout le monde ; cela posera d’avance notre publication.
M. Mennesson commença :
« Il y avait autrefois à Salamanque un écolier qui descendait d’une race arabe, et que l’on nommait Samud[1]. Il était encore si jeune, que, si on lui eût tordu le nez, il en serait bien certainement sorti du lait ; ce qui ne l’empêchait pas d’avoir le ridicule de se croire un homme ; peut-être aussi, car, pour être juste, il faut tout dire, ce ridicule ne lui fut-il inspiré que par l’événement que nous allons raconter. »
On devine si j’écoutais attentivement ; j’avais reconnu, dès les premiers mots, que c’était bien de moi qu’il était question, et je me demandais avec inquiétude où allait tendre ce début, que je trouvais, pour mon compte, plus impertinent que pittoresque.
M. Mennesson continua, et, l’oreille tendue, ma plume inactive à la main, j’écoutai.
« Le jour de la fête de la Pentecôte de l’an… je ne sais point parfaitement le millésime de l’année, mais enfin, c’était le jour de la fête de la Pentecôte, qui est en même temps celle de la ville, deux belles señoras arrivèrent venant de Madrid, et descendirent chez un brave chanoine, qui était l’oncle de l’une d’elles.
» Par hasard, ce chanoine était le même chez lequel Samud avait appris le peu de latin qu’il savait ; or, comme il fallait aux deux belles Madrilègnes un cavalier servant qui ne pût faire soupçonner leur vertu, le chanoine jeta les yeux sur son écolier, et le pria de mettre ses deux bras à la disposition des
- ↑ Je n’ai pas besoin de dire que Samud est l’anagramme de Dumas.