Brézette, ex-caporal de voltigeurs, et oncle d’une des plus jolies jeunes filles de la ville, à laquelle, à cette époque, je n’avais encore fait aucune attention.
Je me suis rattrapé depuis, et, plus d’une fois, j’aurai occasion de parler d’elle.
Il en résulte que j’avais fait l’acquisition, moyennant mes trois francs par mois, d’une danse assez excentrique, mais qui cependant ne manquait ni d’agilité ni de force.
Fourcade partit le premier ; Fourcade était tout simplement un des bons élèves de Vestris.
Je le répète, à cette époque, on dansait encore, et toutes ces fioritures de la chorégraphie, devenues aujourd’hui un ridicule, étaient alors une élégance.
Aux premiers pas de Fourcade, un murmure d’admiration se fit entendre. Ceux qui ne dansaient pas montèrent sur leurs bancs ; ceux qui dansaient allongeaient leurs chassés croisés ou leurs traversés, pour saisir un entrechat ou un flic-flac : le début de Fourcade était un triomphe.
Ce fut à cette occasion que se révéla pour moi cette faculté d’assimilation dont la nature m’a doué. Pendant le court avant-deux que fit mon vis-à-vis, je compris toute la supériorité qu’une pareille danse avait sur la mienne ; je démêlai, dans les tricottements compliqués des chevilles, dans les liés et déliés de ses jambes, ceux qui étaient à ma portée en les simplifiant, et, lorsque vint mon tour de débuter, à l’ombre de l’immense succès de mon partenaire, une bienveillante rumeur m’apprit que je venais de faire mieux qu’on n’attendait de moi.
À partir de ce moment, je devins un danseur frénétique, et cette frénésie dura jusqu’au moment où il fut de mode pour les jeunes gens de vingt-quatre à vingt-cinq ans de se déclarer trop blasés et trop rêveurs pour prendre part à un plaisir tel que celui de la danse.
Je suis en train de dire les ridicules de mon enfance ; que l’on soit tranquille, je ne cacherai pas davantage ceux de ma jeunesse ; je serai plus courageux que Rousseau : Rousseau n’a avoué que des vices.