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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Cependant, force me fut de modérer cette allure à la descente et à la montée de Vauriennes ; mais à peine fus-je parvenu au sommet de la montagne, qu’à l’aide d’un coup d’éperon et de deux coups de baguette vigoureusement sanglés, ma monture reprit le galop.

Tout semblait sommeiller autour de moi. Le paysage, noyé dans l’obscurité, n’était vivifié ni par une lumière brillant à l’horizon, comme une étoile tombée sur la terre, ni par un aboi de chien, qui indique, dans le lointain invisible, la ferme qu’on sait y être, et que l’on cherche vainement des yeux.

Le moulin à vent était endormi comme le reste de la nature ; ses ailes, roides et immobiles, ressemblaient aux bras d’un squelette levés vers le ciel dans l’attitude du désespoir.

Seuls, les arbres de la route semblaient animés ; ils se tordaient et criaient sous le vent, lequel en arrachait violemment les feuilles, qui s’envolaient dans la plaine comme des bandes de sombres oiseaux.

Tout à coup, mon cheval, qui suivait le milieu de la route au grand galop, fit un écart si violent, si inattendu, qu’il m’envoya rouler à quinze pas sur le revers du chemin.

Après quoi, au lieu de m’attendre, il continua sa route en redoublant de vitesse, et en soufflant bruyamment avec ses naseaux.

Je me relevai, tout étourdi de ma chute, qui eût pu être mortelle si, au lieu de tomber sur la terre détrempée des bas côtés, j’étais tombé sur le pavé.

J’eus d’abord l’idée de courir après mon cheval ; mais il était déjà si loin, que je jugeai que ce serait peine perdue. Puis j’avais la curiosité de savoir quel objet l’avait pu si fort épouvanter.

Je me secouai, et, tout chancelant, regagnai le pavé.

À peine avais-je fait quatre pas, que j’aperçus un homme couché en travers de la route. Je crus que c’était quelque paysan ivre ; et, tout en me félicitant de ce que mon cheval ne lui avait point marché sur le corps, je me baissai pour l’aider à se relever.

Je touchai sa main : sa main était roide et glacée.