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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

baron des Fâcheux. Nais ces termes seuls rendent ma pensée, et, d’ailleurs, je les crois tous assez connus pour qu’ils n’aient pas besoin d’explication.

Ma mère m’avait, comme on pense bien, recommandé à M. Deviolaine. Elle ne m’avait laissé aller qu’à cette condition, que M. Deviolaine ne me perdrait pas de vue. Il le lui avait promis, et, pour lui tenir scrupuleusement parole, il m’avait placé entre lui et Moinat, me recommandant de me tenir entièrement caché derrière un gros chêne ; puis, si je tirais sur le sanglier, et qu’il revînt sur le coup, je devais m’accrocher à une branche de ce chêne, m’enlever à la force des poignets, et laisser passer l’animal au-dessous de moi.

Tout chasseur un peu expérimenté sait que c’est là la manière généralement adoptée en cette circonstance.

Dix minutes ne s’étaient point écoulées, que chacun était à son poste. Bientôt la voix du chien de Choron, qui était tombé sur la piste, retentit avec une plénitude et une fréquence qui annonçaient son approche de l’animal. Tout à coup l’on entendit craquer les arbres du fourré. Je vis, pour mon compte, passer quelque chose ; mais, avant que j’eusse le temps de porter mon fusil à mon épaule, ce quelque chose s’était évanoui. Moinat envoya son coup de fusil au juger ; mais lui-même secoua la tête, en signe qu’il ne croyait pas le moins du monde avoir touché l’animal. Puis, un peu plus loin, on entendit un second coup de fusil, puis un troisième, lequel fut immédiatement suivi du cri Hallali ! poussé du fond de ses poumons par la voix de Bobino.

Chacun courut à l’appel, quoique, en reconnaissant la voix de l’appelant, chacun pensât qu’il allait être dupe de quelque nouvelle mystification inventée par le spirituel loustic.

Je courus comme les autres, et je dois même dire que je courus plus fort que les autres. Je n’avais jamais assisté à l’hallali d’un sanglier, et je ne voulais pas manquer un pareil spectacle. M. Deviolaine avait beau me crier de ne point me presser, je n’écoutais rien.

J’ai dit que tout le monde avait cru à une mystification. L’étonnement de tout le monde fut donc sans pareil lorsqu’en