Là se trouvait le lieutenant-colonel Prokesch d’Osten, qui venait de visiter successivement la Grèce, l’Asie Mineure, la terre sainte, l’Égypte et la Nubie. C’était, un homme de distinction à la fois native et personnelle ; il avait publié plusieurs écrits militaires ; entre autres, un sûr la campagne de 1812, et un sur la campagne de 1815.
L’empereur l’invita à dîner. À table, il fut placé près du duc de Reichstadt.
Le prince lui adressa le premier la parole.
— Je vous connais depuis longtemps, lui dit-il, et je me suis beaucoup occupé de vous.
— Comment ai-je pu mériter un pareil intérêt de votre part, monseigneur ? demanda le chevalier de Prokesch.
— J’ai lu, j’ai étudié votre ouvrage sur la bataille de Waterloo, et j’en ai été tellement satisfait, que je l’ai traduit en français et en italien.
Après le dîner, le prince adressa au voyageur de nombreuses questions sur l’Orient, sur son état actuel, sur le caractère de ses habitants.
— Quel souvenir a-t-on conservé de mon père en Égypte ? demanda-t-il.
— On s’en souvient comme d’un météore qui a passé sur ce pays en l’éblouissant.
— Vous me parlez là, monsieur, repartit le duc, des hommes à idées supérieures, de Méhémet-Ali, d’Ibrahim-Pacha ; mais, moi, je vous parle du peuple, des Turcs, des Arabes, des fellahs, et je vous demande ce que tous ces gens-là pensent du général Bonaparte. Ayant eu à supporter les malheurs de la guerre, n’en ont-ils pas conservé un profond ressentiment ?
— Oui, sans doute… D’abord, il y a eu inimitié ; mais, plus tard, cette inimitié a fait place à d’autres sentiments, et il n’est resté pour le souvenir de votre illustre père qu’une grande admiration. La haine qui existe entre les Turcs et les Arabes est telle, qu’aujourd’hui le mal présent a totalement effacé la mémoire du mal qu’on a eu à subir à une autre époque.
— Je connais cette explication, dit le duc ; mais, en géné-