Et Dieu sait que ce n’était pas le caissier qui avait mangé la caisse, nous allons en donner une preuve irrécusable.
Le caissier de la Nouveauté avait cheval, cabriolet et domestique nègre ; il donnait à Zoyo — c’était le nom de son domestique — sept francs par semaine pour sa nourriture et celle de son cheval, vingt-huit francs par mois ! C’était à lui de se tirer de là comme il pourrait. Il s’en tirait en mangeant les sept francs, et en nourrissant son cheval avec les côtes de melon, les feuilles de salade et les trognons de chou qu’il trouvait sur les tas d’ordures ; il appelait cela mettre César au vert
Quand cela ne suffisait pas, Zoyo tendait la main aux passants.
— Comment, drôle, tu mendies ? lui disait celui auquel il s’adressait.
— Monsieur, répondait Zoyo, ce n’est pas pour moi ; c’est pour mon pauvre César, qui meurt de faim.
Et il montrait son cheval, dont l’air noble et digne inspirait la sympathie.
Quand les côtes de melon, les feuilles de salade et les trognons de chou étaient insuffisants ; quand l’appel à la charité publique avait mal rendu, Zoyo prenait un grand parti : il s’en allait chez le cireur de bottes qui avait un établissement à l’entrée du passage Feydeau, et frottait des bottes de compte à demi avec le directeur de l’établissement. Lorsqu’il avait gagné dix sous en cirant dix paires de bottes, il convertissait son gain en un picotin d’avoine ou en une demi-botte de foin, et, tant bien que mal, César dînait.
À cinq heures, quand la caisse était fermée, on harnachait César, on l’attelait au cabriolet ; Zoyo chaussait la culotte blanche, les bottes à revers, endossait le gilet jaune, la redingote verte, se coiffait d’un chapeau à large galon, orné d’une cocarde noire, et amenait le cabriolet à la porte du bureau, rue de Richelieu, no 67, en face de la bibliothèque nationale.
Le caissier sautait dans son cabriolet, Zoyo rabattait la capote, montait derrière ; on gagnait le boulevard, on le suivait jusqu’à la place Louis XV ; on prenait les Champs-Élysées, et l’on faisait un tour au bois.