Tout cela devait finir par une catastrophe, et, en effet, cela finit ainsi.
Un jour que l’on croyait le docteur Sue à sa campagne de Bouqueval, d’où l’on comptait bien qu’il ne reviendrait pas de la journée, on s’était, à force de séductions sur la cuisinière et les domestiques, fait servir dans le jardin un excellent dîner sur l’herbe.
Tous les empailleurs, comité de chimie compris, étaient là, couchés sur le gazon, couronnés de roses comme des Sybarites, buvant le tokai et le johannisberg, ou plutôt l’ayant bu, quand, tout à coup, la porte de la maison donnant sur le jardin s’ouvre, et le commandeur apparaît.
Le commandeur, c’était le docteur Sue.
Chacun s’enfuit et se cache ; Rousseau seul prend son verre plein, remplit un second verre, et, tout en trébuchant, s’avance droit vers le docteur.
— Ah ! mon bon monsieur Sue, dit-il, voilà de fameux tokai ! À la santé de l’empereur d’Autriche !
On devine la colère dans laquelle entra le docteur en retrouvant, sur le gazon, le cadavre d’une bouteille de tokai, de deux bouteilles de johannisberg, et de trois bouteilles d’alicante. — On avait bu l’alicante à l’ordinaire.
Les mots de vol, d’effraction, de procureur du roi, de police correctionnelle grondèrent dans l’air comme gronde la foudre dans un nuage de tempête.
La terreur des coupables fut profonde. Delâtre connaissait un puits desséché aux environs de Clermont, et proposait de s’y réfugier !
Huit jours après, Eugène Sue partait, comme sous-aide, pour faire la campagne d’Espagne de 1823.
Il fit cette campagne, resta un an à Cadix, et ne revint à Paris qu’au commencement de 1825.
Le feu du Trocadéro lui avait fait pousser les cheveux et les moustaches ; il était parti imberbe comme une pomme d’api, il revenait chevelu comme un roi de la première race, barbu comme un mougik.
Cette croissance capillaire flatta sans doute l’amour-propre