Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
246
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Mais toutes ces attentions ne faisaient pas que le pauvre écolier pût passer maître. L’auteur futur d’Indiana, de Valentine et de tant d’autres merveilles, ne savait pas faire un article de journal, ne savait pas être court.

De Latouche lui réservait toutes les anecdotes sentimentales, qui comportaient un certain développement ; mais George Sand se trouvait toujours à l’étroit dans un cadre d’une demi-colonne, d’une colonne, d’une colonne et demie au plus, et, quand l’article commençait à commencer, il fallait le finir ; il n’y avait plus de place.

Sur dix articles que donnait George Sand à son rédacteur en chef, souvent pas un seul ne pouvait servir, et longtemps il alluma son feu avec de la copie qui — Georges Sand l’affirme — n’était bonne qu’à cela.

Et, cependant, chaque jour, il lui disait :

— Ne vous découragez pas, mon enfant. Vous ne pouvez pas faire un article en dix lignes : un jour, vous ferez des romans en dix volumes. Tachez, d’abord, de vous débarrasser du pastiche ; c’est par le pastiche que débute tout commençant. Soyez tranquille, peu à peu, vous deviendrez vous-même, et vous ignorerez tout le premier comment cela vous est venu.

Et, en effet, pendant six semaines du printemps de 1832, passées à la campagne, George Sand fit un roman en deux volumes.

— Ce roman, c’était Indiana.

George Sand revint de la campagne, alla trouver de Latouche, et lui avoua, en tremblant, le nouveau crime qu’il venait de commettre.

— Cela tombe bien ! s’écria de Latouche ; on dirait que j’avais prévu cela ; je vous ai cherché et trouvé un éditeur ; donnez-lui votre roman.

— Ne voulez-vous donc pas en prendre connaissance ? demanda l’auteur.

— Non ; vous lisez mal ; je n’aime pas à lire sur un manuscrit. Portez les deux volumes au libraire, touchez vos douze cents francs ; je jugerai l’œuvre sur le livre imprimé.

George Sand n’avait rien de mieux à faire que de suivre le