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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ser ; ia lutte fut terrible ; après la lettre qu’il avait écrite trois jours auparavant à Serrurier, mon père ne pouvait pas reculer et ne recula point ; avec deux ou trois régiments, et, entre autres, son régiment de dragons, il tint ferme et donna le temps à Bonaparte de lui envoyer la 57e demi-brigade de Victor, qui, pour arriver jusqu’à lui et le dégager, fit une si sanglante trouée, qu’à partir de ce jour-là, elle fut appelée la Terrible.

On retrouva mon père, avec sept ou huit cents hommes, entouré de morts ; il avait eu un cheval tué sous lui ; un second avait été enterré par un boulet, et le cavalier seul, que l’on croyait mort, était sorti, en se secouant, de cette glorieuse tombe.

Wurmser, repoussé à son tour, se rabattit sur la Favorite ; mais la Favorite, défendue par quinze cents hommes, résista à l’effort de Wurmser, et fit même une sortie ; devant cette sortie, devant les charges réitérées de mon père et de ses dragons, devant l’héroïque obstination de Victor, dont les troupes fraîches combattaient avec la rage du repos auquel elles avaient été condamnées tandis que l’armée s’illustrait à Rivoli, Wurmser recula et fut forcé de rentrer dans la ville.

Dès lors Provera, abandonné, fut perdu ; pris entre Bonaparte, Miollis, Serrurier et Augereau, il mit bas les armes avec cinq mille hommes ; le reste de sa troupe était tué.

Ainsi, en deux jours, les batailles de Rivoli et de la Favorite gagnées, deux armées détruites, vingt mille hommes faits prisonniers, tous les canons et tout le matériel pris, les Autrichiens hors d’état de tenir la campagne à moins de créer une cinquième armée, tout cela était le résultat du hasard qui avait livré l’espion à mon père, fécondé par le génie de Napoléon.

La brigade seule de mon père prit six drapeaux. Aussi, le lendemain 28 nivôse, mon père reçut-il cette lettre du général Serrurier :