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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

cire fut lavée dans une de ces rigoles d’irrigation qui se trouvent par milliers dans les prairies des environs de Mantoue, imbibée d’une eau que l’espion portait à cet effet dans un petit flacon caché dans la poche de son gilet, et que les soldats n’avaient pas jugé à propos de lui enlever, et présentée à mon père, qui la fit ouvrir par Dermoncourt, lequel, en sa qualité d’aide de camp secrétaire, était chargé de l’ouverture des dépêches.

Ils ne restait plus qu’une crainte : c’est que la dépêche ne fût en allemand, et personne au quartier général ne parlait allemand.

Pendant ce temps, Dermoncourt, à l’aide d’un canif, faisait l’opération césarienne à la boulette de cire, et en tirait une lettre écrite sur du papier vélin et d’une écriture assez fine pour que, roulée entre les doigts, cette lettre ne prit pas plus d’importance qu’un gros pois.

La joie des deux opérateurs fut grande lorsqu’ils s’aperçurent que la lettre était écrite en français ; on eût dit que l’empereur et son général en chef avaient prévu le cas où cette lettre tomberait entre les mains de mon père.

Voici la teneur de la lettre, que je transcris sur une copie de la main de mon père ; l’original, comme nous le dirons tout à l’heure, fut envoyé à Bonaparte,

« Trente, le 15 décembre 1796.

» Je m’empresse de transmettre à Votre Excellence, littéralement et dans la même langue où je les ai reçus, les ordres de Sa Majesté en date du 5 du mois :

« Vous aurez soin d’avertir sans retard le maréchal Vurmser de ne pas continuer ses opérations ; vous lui ferez savoir que j’attends de sa valeur et de son zèle qu’il défendra Mantoue jusqu’à toute extrémité ; que je le connais trop, ainsi que les braves officiers généraux qui sont avec lui, pour craindre qu’ils se rendent prisonniers, surtout s’il s’agissait de transporter la garnison en France au lieu de la renvoyer dans