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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

l’importance de Mantoue, espère tenir un espion, il ne renonce pas facilement à cet espoir.

Cependant il n’y avait rien à dire, les poches étaient parfaitement vides et les réponses mathématiquement précises.

Une des lectures favorites de mon père était Polybe et les Commentaires de César ; un volume des Commentaires du vainqueur des Gaules était ouvert sur la table placée près de son lit, et le passage que mon père venait de relire avant de se coucher était justement celui où César raconte que, pour pouvoir faire passer à Labiénus, son lieutenant, des nouvelles sûres, il renfermait sa lettre dans une petite boule d’ivoire de la grosseur d’une bille d’enfant ; que le messager, lorsqu’il passait soit devant des postes ennemis, soit dans quelque endroit où il craignait d’être surpris, tenait cette boule dans sa bouche et l’avalait, s’il était serré de trop près.

Tout ce passage de César lui revint comme un trait de lumière.

— C’est bien, dit mon père, puisque cet homme nie, qu’on l’emmène et qu’on le fusille.

— Comment ! général, s’écria le Vénitien épouvanté, à quel propos me fusiller ?

— Pour t’ouvrir le ventre et y chercher tes dépêches, que tu as avalées, dit mon père avec autant d’aplomb que si la chose lui eût été révélée par quelque démon familier.

L’espion tressaillit.

Les hommes hésitaient.

— Oh ! ce n’est point une plaisanterie, dit mon père aux soldats qui avaient amené le prisonnier, et, s’il vous faut un ordre écrit, je vais vous le donner.

— Non, général, dirent les soldats, et, du moment que c’est sérieux…

— Parfaitement sérieux ; emmenez, et fusillez.

Les soldats firent un mouvement pour entraîner l’espion.

— Un instant ! dit celui-ci, qui voyait que l’affaire prenait une tournure grave.

— Avoues-tu ?