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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

lons de la Vendée, mais fort diminués par les désertions ; Kellermann, qui venait d’envoyer mon père, faisait dire par lui qu’il ne pouvait dégarnir la ligne des Alpes, obligé qu’il était de contenir Lyon et les bords du Rhône, où les compagnies de Jéhu se livraient à toute sorte de brigandages. Bonaparte demandait à cor et à cri là 40e et la 83e brigade avec les six mille hommes qui les composaient, et, s’ils arrivaient, il répondait de tout.

Aussi écrivait-il au Directoire :

« Je suis malade, je puis à peine me soutenir à cheval ; il ne me reste que du courage, ce qui est insuffisant pour le poste que j’occupe. On nous compte, le prestige disparaît ; des troupes ; ou l’Italie est perdue. »

Mon père avait trouvé, en effet, Bonaparte fort souffrant ; cette maladie dont il se plaignait, c’était la gale, qu’il avait gagnée à Toulon de la façon la plus héroïque, en servant lui-même un canon avec l’écouvillon d’un artilleur qui venait d’être tué : cette gale, mal soignée, le fatiguait horriblement ; sa maigreur était effrayante ; il semblait un cadavre ambulant, ses yeux seuls vivaient.

Il ne désespérait pas cependant ; il recommanda à mon père la plus grande surveillance et la plus incessante activité, et, lui annonçant sa prochaine rentrée en campagne, il l’envoya prendre devant Mantoue le commandement de la première division.

En effet, onze jours après, la campagne recommençait.

La quatrième tête était repoussée à l’hydre ; le maréchal Alvintzy, conduisant quarante mille hommes, avait jeté des ponts sur la Piave et s’était avancé sur la Brenta.

La campagne fut terrible. Elle dura du 1er au 17 novembre ; Bonaparte, avec vingt mille hommes, en attaquait cinquante mille ; un instant, l’armée se trouva réduite à quinze mille hommes ; un instant, Bonaparte, découragé après les batailles sans résultat de Bassano et de Caldiero, jeta ce cri de détresse au Directoire ; c’était le 14 novembre ; lé 13, Bonaparte était arrivé dans Vérone, après dix jours de lutte non-seulement contre les Autrichiens, mais encore contre la boue, la pluie et la grêle.