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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

mes de troupes autrichiennes et les généraux les plus renommés de l’empire.

Le lendemain de son arrivée, Bonaparte fit distribuer à chaque général, pour son entrée en campagne, la somme de quatre louis ; puis, montrant aux soldats les campagnes d’Italie :

— Camarades, leur dit-il, vous manquez de tout au milieu de ces rochers ; jetez les yeux sur ces riches plaines qui se déroulent à vos pieds, elles vous appartiennent, allons les prendre.

C’était à peu près le discours qu’Annibal avait tenu, il y avait dix-neuf cents ans, à ses Numides, accroupis comme des sphinx sur les plus hauts rochers des Alpes et regardant l’Italie de leurs yeux ardents, et, depuis dix-neuf cents ans, il n’était passé entre ces deux hommes que deux autres hommes dignes de leur être comparés, César et Charlemagne. Bonaparte avait, comme nous l’avons dit, soixante mille hommes à peu près devant lui ; vingt-deux mille, sous les ordres de Colli, campaient à Céva, sur le revers des monts ; trente-huit mille sous les ordres de Beaulieu, cœur de jeune homme sous des cheveux blancs, s’avançaient vers Gènes par les routes de la Lombardie.

Bonaparte transporte son armée à Albenga, et, le 11 avril, heurte Beaulieu, près de Voltri.

De ce choc jaillit l’étincelle qui va embraser l’Italie. En onze jours, le jeune général en chef bat cinq fois les ennemis : à Montenotte, à Millesimo, à Dego, à Vico et à Mondovi. En onze jours, les, Autrichiens sont séparés des Piémontais, Provera est pris, le roi de Sardaigne est forcé de signer un armistice dans sa propre capitale, et de livrer les trois forteresses de Coni, de Tortone et d’Alexandrie.

Alors Bonaparte s’avance vers la haute Italie, et, devinant les succès avenir par les succès passés, il écrit au Directoire :

« Demain, je marche sur Beaulieu, je l’oblige à repasser le Pô, je le passe immédiatement après lui, je m’empare de toute la Lombardie, et, avant un mois, j’espère être sur les montagnes du Tyrol, y trouver l’armée du Rhin et porter, de concert avec elle, la guerre dans la Bavière. »