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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

» Vous devez juger par là de la quantité de recrues qu’ils viennent de recevoir, de la nullité de ces bataillons, dont la partie saine se trouve paralysée par l’inexpérience de la majorité, tandis que la mauvaise composition des officiers ne laisse pas-même l’espérance de former des hommes nouveaux.

» Mais le mal n’est pas là tout entier.

» Le mal est surtout dans l’esprit d’indiscipline et de pillage qui règne à l’armée, esprit produit par l’habitude et nourri par l’impunité. Cet esprit est porté à un tel point, que j’ose vous dénoncer l’impossibilité de le réprimer, à moins d’envoyer les corps qui sont ici à d’autres armées et de les remplacer dans celle-ci par des troupes dressées à la subordination.

» Pour vous convaincre de cette vérité, il vous suffira d’apprendre que des chefs ont été menacés d’être fusillés par leurs soldats pour avoir voulu, d’après mon ordre, empêcher le pillage. Vous serez d’abord étonnés de ces excès ; mais vous cesserez bientôt de l’être en réfléchissant que c’est une conséquence nécessaire du système suivi jusqu’à présent dans cette guerre. Le mouvement du vol et du brigandage une fois imprimé, il est difficile de l’arrêter à volonté, vous le savez citoyens représentants ; la Vendée a été traitée comme une ville prise d’assaut. Tout y a été saccagé, pillé, brûlé. Les soldats ne comprennent pas pourquoi cette défense de continuer aujourd’hui de faire ce qu’ils faisaient hier. Vous ne trouverez pas même chez les officiers généraux le moyen de rappeler, dans les rangs des soldats, l’amour de la justice et des bonnes mœurs. Plusieurs sans doute, tous même, j’ose le croire, sont pénétrés de bons principes, et en désirent le retour. Mais une partie des hommes a servi dans cette armée au moment où le pillage s’y exerçait ; témoins des défaites de nos armes, ces hommes ont perdu, par leur participation aux vieilles défaites, l’autorité nécessaire pour arrêter le cours des désordres que j’ai signalés ; l’autre manque de lumières, de fermeté, de moyens propres à ramener parmi les troupes l’ordre et la discipline. Ainsi, en dernière analyse, je n’ai