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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

reproche à former contre lui et rapporté l’article de l’arrêté qui lui enjoignait de quitter Bayonne.

Quant à l’autorisation qui lui était accordée de servir dansl’armée comme chef divisionnaire, on comprend qu’il n’en usa point.

Il s’installa donc, avec sa maison militaire, sur la place où on lui avait d’avance retenu son logement. Malheureusement, cette place était celle où avaient lieu les exécutions.

Lorsque l’heure terrible arrivait et lorsque toutes les autres fenêtres se garnissaient du curieux, mon père fermait les siennes ; baissait ses jalousies, et tirait ses rideaux.

Alors, sous ces fenêtres fermées, il se faisait une émeute terrible ; tous les sans-culottes du pays se rassemblaient et hurlaient :

— Eh ! monsieur de l’Humanité ! à la fenêtre ! à la fenêtre !

Malgré ces cris, qui souvent prenaient le caractère de la menace, et auxquels mon père et ses aides de camp, le sabre au côté et les pistolets au poing, s’apprêtèrent plus d’une fois à répondre à main armée, pas une de ces fenêtres ne s’ouvrit, pas un des officiers appartenant à l’état-major de mon père ne parut au balcon.

Il en résulta que le nouveau général envoyé par le pouvoir exécutif cessa de s’appeler le citoyen Alexandre Dumas, et ne fut plus connu que sous le nom, fort compromettant à cette époque, surtout au milieu de ceux qui le lui avaient donné, de monsieur de l’Humanité !

Contestez-moi mon nom de Davy de la Pailleterie, messieurs ; ce que vous ne contesterez pas, c’est que je suis le fils d’un homme que l’on appelait l’Horatius Coclès devant l’ennemi, et monsieur de l’Humanité devant l’échafaud.