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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

voulut le voir, le fit maréchal des logis, l’invita à dîner et mit son nom à l’ordre du jour.

Ce fut la première illustration qui s’attacha à ce nouveau nom d’Alexandre Dumas, adopté par le fils du marquis de la Pailleterie.

À partir de ce moment, le général Beurnonville voua à mon père une bienveillance qu’il lui a toujours conservée, et il avait coutume de dire, quand mon père était de service au quartier général :

— Oh ! cette nuit ; je dormirai tranquille, c’est Dumas qui veille sur nous.

C’était le moment des enrôlements volontaires, et la France présentait au monde un spectacle qui pouvait passer pour un exemple.

Jamais nation n’avait été si près de sa perte que l’était la France de 1792, si ce n’est la France de 1428.

Deux miracles la sauvèrent, cette bien-aimée fille de Dieu : en 1428, le Seigneur suscita une vierge qui sauva la France, comme Jésus avait sauvé le monde, en mourant ; en 1792, il souleva tout un peuple, il mit son souffle dans toute une nation.

Xercès, sur le rocher de Salamine, se crut moins sûr d’Athènes, se jetant à la nage et se réfugiant sur la flotte de Themistocle ; Louis XIV, aux portes d’Amsterdam, se crut moins sûr de la Hollande, se noyant pour lui échapper, que le roi Frédéric-Guillaume ne se crut sûr de la France à Longwy et à Verdun.

La France sentit la main de la Mort qui s’étendait sur elle, et, par une puissante et terrible contraction, déjà les pieds dans son linceul, elle s’élança hors de son tombeau.

Tout la trahissait.

Son roi, qui essayait de fuir à Varennes et de rejoindre Bouillé à Montmédy ; sa noblesse, qui combattait dans les rangs ennemis et qui poussait les Prussiens sur la France ; les prêtres, plus terribles, qui infiltraient la guerre civile, non pas même entre citoyens d’une même patrie, d’une même province, d’une même ville, mais entre les membres de la même