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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pauvre blessé tenait entre ses deux bras le cou de sa mère, renversée sur lui.

On nie vit, on me fit approcher du lit. Stanislas m’embrassa ; et me remercia d’être venu le voir. Il était horriblement pâle.

Le repos était recommandé avant toute chose. On renvoya donc tout le monde ; je fus congédié comme les autres, et, comme les autres, je partis.

Voici de quelle manière l’accident était arrivé :

Stanislas chassait avec son père, et, la chasse à peu près finie, s’était rapproché de la ferme, dans laquelle il était près de rentrer, lorsqu’il entendit un coup de fusil.

Afin de mieux voir qui l’avait tiré, et si celui qui l’avait tiré avait tué, Stanislas monta sur une borne située à l’angle du mur.

En montant sur cette borne, il oublia de désarmer son fusil, dont il appuya machinalement le canon contre sa cuisse. Son chien, le voyant sur la borne, se dressa, pour l’atteindre, sur les deux pattes de derrière, et, en laissant retomber ses pattes de devant, appuya sur la gâchette. Le coup partit, et Stanislas reçut toute une charge de plomb à perdrix dans le col du fémur.

C’était, cette horrible blessure que venait de panser le chirurgien, lorsque j’arrivai.

Pendant deux jours, on conserva quelque espérance ; mais, le troisième jour, Stanislas fut pris et emporté par le tétanos. Cette mort devint une source d’exhortations dans la bouche de ma mère ; elle déclara qu’elle ne serait tranquille qu’après mon entière renonciation à la chasse. Mais, malgré l’impression faite par cette mort sur moi-même, je ne voulus renoncer à rien.

Toutes les fois que madame Picot m’avait revu depuis la mort de Stanislas, sans doute en souvenir de ma liaison d’enfant avec son fils, elle m’avait témoigné une grande amitié.

En outre, sa fille — très-bien avec ma sœur — était excellente pour moi, et, seule parmi les grandes, ne se moquait jamais de mes ridicules.