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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

aimait beaucoup ma sœur, et voulait se faire des auxiliaires de tous ceux qui l’entouraient, même de moi.

— Mon cher Alexandre, me dit-il en m’apercevant, il y a, depuis quinze jours, sur ma cheminée, un objet qui t’est destiné. Je n’ai pas besoin de te dire lequel… Va le prendre toi-même.

Je partis tout courant.

Victor demeurait chez M. Picot de l’Épée, dans cette même maison où mon père était mort.

— Ouvrez-moi la chambre de M. Letellier, criai-je en entrant dans la cuisine ; il m’envoie chercher quelque chose qu’il a laissé sur la cheminée.

On m’ouvrit la chambre ; je courus à la cheminée, et, au milieu de deux ou trois piles d’argent, d’éperons, de cravaches, de tire-bottes et autres objets, j’aperçus un petit pistolet de poche, véritable miniature sur laquelle je me jetai sans hésitation, tant je compris que l’objet qui m’était réservé, c’était ce pistolet.

Ce cadeau, un des premiers que j’aie reçus, fut une des grandes joies de ma vie.

Mais ce n’était pas le tout d’avoir un pistolet, il me fallait de quoi en jouir. Je regardai autour de moi ; ce que je cherchais n’était pas difficile à trouver dans la chambre d’un chasseur : je cherchais de la poudre.

Je trouvai une poire, et versai la moitié de son contenu dans un cornet.

Puis je m’élançai dans ce qu’on appelait le parterre, c’est-à-dire dans la partie du parc qui n’était pas encore la forêt.

Là commença une pistolade qui ne finit qu’à mon dernier grain de poudre, et qui amassa tous les gamins de la ville. Au bout d’une demi-heure, ma mère était prévenue que je me livrais à un exercice à feu exagéré.

Ma mère m’aimait tant, qu’elle craignit un accident. Un de nos amis, dont j’ai déjà prononcé le nom une fois, M. Danré de Vouty, était arrivé une fois chez nous, pâle et tout sanglant. Il chassait dans les environs de Villers-Cotterets. C’était pendant l’hiver ; comme il sautait un fossé, une certaine