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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

L’ancien aide de camp du général Dumas, en Égypte, avait, en mourant, recommandé à son fils, Ludovic d’Horbourg, de me remettre, après sa mort, comme un souvenir de reconnaissance, la peau du serpent tué si vivement et si adroitement par mon père dans l’île de Rhodah.

Souvent, au reste, il avait raconté l’histoire à son fils ; car, de tous les dangers qu’avait affrontés le comte d’Horbourg dans sa longue carrière militaire, c’était celui que lui avait fait courir le serpent du Nil qui était resté le plus profondément empreint dans sa mémoire.

Grâce à cette tradition orale, j’ai donc pu consigner ici le fait dans tous ses détails.

À peine mon père avait-il rejoint son régiment, que l’occasion se présenta de déployer son adresse, comme élève de Laboissière.

Le régiment du Roi et le régiment de la Reine, qui avaient toujours été en rivalité, se trouvèrent en garnison dans la même ville. C’était une belle occasion pour faire de la petite guerre ; de si dignes rivaux ne la laissèrent pas échapper, on le comprend bien.

Un jour, un soldat du régiment du Roi passa près d’un soldat du régiment de la Reine.

Le premier arrêta le second.

— Camarade, lui dit-il, tu ne sais pas une chose ?

— Non, répondit celui-ci ; mais, si tu me la dis, je la saurai.

— Eh bien, c’est que le Roi f… la Reine. — Ce n’est pas vrai, répondit l’autre ; c’est au contraire la Reine qui f… le Roi.

L’insulte était grave de part et d’autre ; il fallut recourir aux armes.

Une centaine de duels eurent lieu dans les vingt-quatre heures. Mon père en prit trois pour son compte.

Dans un de ces duels, il reçut un coup de pointe au front.

Heureusement, comme Duguesclin, il avait la tête dure.

Cette blessure, à laquelle il ne fit aucune attention dans le moment, eut plus tard de graves conséquences et faillit le rendre fou.