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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

poing qu’il reçut sur l’œil, un autre coup de poing qu’il reçut dans les dents, la retraite précipitée résultat de cette double attaque, qui n’eut pour contre-poids qu’un faible coup de poing reçu par moi sur le nez, tout cela fut l’affaire d’une minute à peine.

Le champ de bataille était à moi.

Je dois rendre justice à mes camarades : cette victoire fut suivie d’unanimes applaudissements.

Je me mis alors à repasser ma veste, et à ramasser mes livres en murmurant ces seuls mots qui résumaient toute ma pensée :

— Ah ! mais ! ah ! mais ! ah ! mais !

Ce qui voulait dire : « Faites-y attention, voilà comme je suis : poltron au fond, mais, quand on me pousse à bout, un Alexandre, un Annibal, un César ; ah ! mais ! »

C’était sans doute aussi l’avis des spectateurs, car leurs rangs s’ouvrirent devant moi.

Je passai fièrement sous la grande porte, naguère témoin de mon affront, et maintenant devenue l’arc de mon triomphe. Je trouvai un livre qu’en se sauvant Bligny avait laissé glisser de son gilet.

Je pensai que les dépouilles du vaincu appartenaient de droit au vainqueur : je ramassai le livre, et je l’emportai.

Mais, en l’emportant, je l’ouvris.

C’était l’Onanisme, de M. Tissot.

Je ne comprenais rien au titre, et je laissai ma mère me prendre ce livre et le cacher.

Deux ans après, je le retrouvai et le lus.

Si cette lecture eût eu lieu le jour de ma victoire, elle eût été inutile, parce qu’elle eût été incomprise.

Deux ans plus tard, elle fut providentielle.