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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

trois ou quatre déclinaisons que j’arrivai à exécuter pendant la classe.

Je ne sais pas si le temps paraissait long à mes camarades ; mais ce que je sais, c’est que jamais il ne s’écoula pour moi avec une pareille rapidité. Quatre heures sonnèrent, l’abbé Grégoire dit sa prière, que je croyais être à peine à moitié de la classe.

Il fallait sortir ; j’en pris mon parti ; je nouai le plus lentement possible mes livres. J’espérais que, descendant le dernier, le torrent se serait écoulé, et que je trouverais le passage libre.

Et cependant quelque chose me disait, au fond du cœur, que j’avais amassé, par ma dénonciation, trop de vengeances sur ma tête pour en être quitte à si bon marché.

Je pouvais dire un mot à l’abbé Grégoire, et il me reconduisait lui-même ou me faisait reconduire par sa sœur Alexandrine ; mais je compris que ce serait une lâcheté qui reculerait l’affaire, voilà tout. M. Grégoire ou sa sœur ne pouvait me reconduire éternellement ; un jour viendrait où je serais obligé de m’en aller seul, et, ce jour-là, il faudrait bien en découdre avec l’un ou l’autre de mes camarades.

Je résolus donc de braver le danger et d’attaquer, comme on dit, le taureau par les cornes.

Notez que toutes ces réflexions se heurtaient dans une tête de dix ans.

Ma résolution prise, je dis adieu à l’abbé Grégoire. Je poussai un gros soupir, et je descendis.

Je ne m’étais point trompé : tout le collège était assis en demi-cercle, comme les spectateurs romains, sur les gradins de leur amphithéâtre ; et, debout au bas de l’escalier, l’habit bas, les manches retroussées, Bligny m’attendait.

Ah ! j’avoue que, quand j’arrivai au tournant de l’escalier et que je vis toutes ces dispositions prises pour l’inévitable combat, le cœur me faillit, et que je fus près de remonter ; mais ce moment d’hésitation, quelque effort que j’eusse fait pour le réprimer, n’avait point échappé à mes camarades : une huée universelle s’éleva, les mots les plus outrageants