Page:Dumas - Mes mémoires, tome 1.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
291
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Mes lamentations redoublèrent.

— Je crois bien qu’il est mouillé, dit un grand, depuis le temps qu’il pleure.

— Comment ! dit l’abbé, vous osez soutenir que ce sont ses larmes qui l’ont trempé comme cela ?

— Parbleu !

— Mais, monsieur l’abbé, m’écriai-je, je ne peux pas m’avoir pleuré dans le dos, et je suis aussi mouillé par derrière que par devant.

L’abbé vérifia le fait.

— C’est juste, dit-il ; pas de récréation à midi, des férules tout de suite, et trois cents vers demain matin.

Alors, il s’éleva un concert de plaintes et de gémissements pareils à celui que Dante entendit dans le premier cercle de l’enfer ; ces plaintes et ces gémissements étaient mêlés de sourdes menaces qui me faisaient courir des frissons sous la peau. Cependant, il fallait se soumettre. L’abbé possédait les vieilles traditions collégiales, il avait l’oreille sourde et la main vigoureuse : il appliqua une vingtaine de paires de férules qui doublèrent les plaintes, les gémissements et les menaces.

Je compris que je venais d’amasser sur ma tête un orage qui se résoudrait en une grêle de coups de poing.

Les férules avaient cela de bon qu’elles dispensaient de travailler pendant toute la classe ; pas une ligne ne fut écrite de neuf heures à midi, sous prétexte que M. l’abbé avait frappé si rude, qu’on avait la main engourdie.

L’abbé fit cette concession.

À midi, chacun essaya de trouver un prétexte pour échapper à la retenue. Il est incroyable ce que chacun avait à faire, et de quelle importance étaient les sorties, ce jour-là.

Trois prétextes me restèrent dans l’esprit : Saunier avait sa leçon de clarinette à prendre ; Ronet devait se purger ; Leloir devait tirer à la conscription !

Il va sans dire que, leçon de clarinette, huile de ricin et tirage à la conscription, l’abbé Grégoire remit tout cela au lendemain.