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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

chantée qu’elle était que je ne la quittasse point. Toute sa colère tomba sur Boudoux, et, la première fois qu’elle le vit, tout pauvres que nous étions, elle lui donna cinq francs.

Et cependant, voilà quelle circonstance futile a décidé de ma vie. Si le matin l’épicier avait eu un encrier comme je le désirais, je n’y retournais pas le soir ; je n’y rencontrais pas Cécile ; elle ne me faisait point cette plaisanterie qui m’exaspéra ; je ne me mettais pas sous la protection de Boudoux, et, le lendemain, je partais pour Soissons, et j’entrais au séminaire. Une fois au séminaire, les dispositions religieuses que j’ai de tout temps eues dans l’esprit se développaient, et je devenais peut-être un grand prédicateur, au lieu de ce que je suis, c’est-à-dire un pauvre poëte. Cela eût-il mieux valu ? cela eût-il valu moins ?

Ce que Dieu fait est bien fait.

Ce n’est pas là le seul danger auquel j’échappai ; on verra plus tard comment je faillis devenir bien pis que séminariste ou curé.

On verra comment je faillis devenir receveur des contributions !


XXVI


Le collège de l’abbé Grégoire. — La réception qui m’y est faite. — Les grandes eaux jouent pour mon arrivée. — On conspire contre moi. — Bligny me provoque en combat singulier. — Je suis vainqueur.

Il fut convenu qu’au lieu d’aller au séminaire, j’irais au collège chez l’abbé Grégoire, à Villers-Cotterets. On appelait collège, l’école de l’abbé Grégoire, comme, en Angleterre, on appelle lords certains bâtards de grands seigneurs, par pure courtoisie.

Il fut donc décidé que j’irais au collège de l’abbé Grégoire.

Oh ! parlons de l’abbé Grégoire, parlons-en longuement ; parlons-en comme on parle d’un honnête homme, d’un digne homme, d’un saint homme.