Page:Dumas - Mes mémoires, tome 1.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
283
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le hibou, avec son plumage fauve et ses gros yeux ronds, joue dans les forêts le rôle que Jean-Jacques Rousseau jouait dans les rues de Paris, quand il sortait habillé en Arménien.

Tous les gamins couraient après le philosophe de Genève.

Tous les oiseaux poursuivent le hibou.

Mais, pour ces malheureuses bêtes, se révèle alors une justice qui n’existe pas pour les hommes : en poursuivant le hibou, les oiseaux s’abattent sur l’arbre où il est attaché ; tout volatile qui se pose sur un gluau est perdu ; il tombe de branche en branche, et passe de la liberté à la cage, bien heureux quand il ne passe pas de la cage à la broche.

Le second moyen d’attraction est de prendre un geai.

Avec un lièvre, on ne fait qu’un civet ; mais, avec un geai, on fait bien autre chose ; — pourvu cependant que le geai soit vivant : c’est une condition sine quá non :

Le geai a une très-mauvaise réputation parmi la gent volatile.

D’abord, il a celle de prendre des plumes du paon, que lui a faite la Fontaine, et qui est peut-être, comme toutes les réputations faites par les hommes, celle qu’il mérite le moins ; son autre réputation, bien autrement grave aux yeux des oiseaux, celle de manger les œufs de ses confrères plus faibles et plus petits que lui. Aussi la haine que les oiseaux ont pour ce dévorateur est-elle en raison de la quantité des œufs qu’ils pondent ; les mésanges, par exemple, qui font, parfois, jusqu’à vingt et vingt-cinq petits, sont les plus acharnées contre ce bandit ; puis, après elles, viennent les fourgons, qui en pondent quinze, les pinsons, qui en pondent cinq ou six, enfin les rouges-gorges et les fauvettes, qui en pondent trois ou quatre.

On prend donc un geai vivant, on lui étend l’aile et on lui tire les plumes de l’aile.

Ce n’est pas très-humain, mais c’est très-efficace.

On connaît l’affreux cri du geai ; à chacune des plumes qu’on lui tire, le geai pousse un de ces cris-là, et à chaque cri, on voit se précipiter par volées, mésanges, fourgons, pinsons, fauvettes et rouges-gorges, qui viennent jouir du supplice de