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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

des vieillards qui avaient chassé avec lui, et qui citaient des exemples presque incroyables de sa rapidité à ce qu’on appelle, en terme de chasse, jeter le coup.

Au reste, un seul fait en donnera une idée.

Parmi ses aides de camp, mon père avait distingué, comme un excellent et infatigable chasseur, le capitaine d’Horbourg de Narsanges, commandant la compagnie d’élite du 15e régiment de dragons.

Il en avait fait son compagnon ordinaire dans ses expéditions de chasse.

Un matin, mon père et son aide de camp sortirent du Caire, par la porte du Nil, pour aller chasser dans l’île de Rhodah ; à peine avaient-ils fait cinq cents pas hors des murs, qu’ils rencontrèrent un capitaine de dromadaires, qui, contrairement à toutes les habitudes de la vénerie, leur souhaita une bonne chasse.

— Au diable l’animal ! s’écria le capitaine d’Horbourg, qui avait toutes les superstitions des vrais chasseurs ; voilà notre journée flambée ; si vous m’en croyez, nous rentrerons.

— Allons donc, fit mon père, es-tu fou ?

— Nais, mon général, vous savez le proverbe ? — Sans doute, je le sais ; mais c’est un proverbe français et non arabe. Oh ! si nous chassions dans la plaine Saint-Denis, je ne dis pas… Allons, en route !

On s’embarqua et l’on atteignit l’île.

L’île, ordinairement si giboyeuse, semblait déserte.

Le capitaine d’Horbourg, de cinq minutes en cinq minutes, envoyait à tous les diables le capitaine de dromadaires.

Tout à coup, il s’arrêta, l’œil fixe, le fusil en arrêt.

— Général ! dit-il à mon père, qui était à vingt-cinq pas de lui.

— Eh bien, quoi ?

— Un serpent !

— Comment, un serpent ?

— Oui, et même de taille ! il est plus gros que mon bras.

— Où cela ?

— Devant moi !