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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

le bassin qui faisait le centre de la pelouse, je me penchai un peu trop en avant, je perdis mon centre de gravité, la tête emporta le derrière, et je fis, dans un bassin de quatre pieds de profondeur et dans une eau glacée, un plongeon des plus complets et, à ce qu’il paraît, des plus effrayants pour la société, qui se mit à battre l’air avec les bras et à crier à tue-tête : « À l’aide ! au secours ! Dumas se noie !… » Heureusement, je ne perdis pas la tête, je m’accrochai aux herbes qui pendaient de la pelouse dans le bassin, et, grâce à cet appui, je reparus à la surface de l’eau, ruisselant comme le fleuve Scamandre ; de sorte que Victor n’eut besoin que de me donner la main pour me rendre à mon élément et à mon terrain naturels.

Alors, avec mon air grave et doctoral, me tournant vers la troupe effarée :

— Imbéciles, leur dis-je, ce n’était pas « Dumas se noie ! » qu’il fallait crier, c’était « Le roi boit ! »

On trouva le mot charmant. Comme c’est le premier que j’aie fait, et que je l’ai fait à l’âge de sept ans, je demande pour lui l’indulgence du public.

Ce qui n’empêcha pas ma cousine Cécile de dire, en exécutant ses tours de force ordinaires, que je n’étais et ne serais jamais bon qu’à faire un séminariste.

On verra bientôt combien peu s’en fallut que la prédiction ne se réalisât.

Les grandes terreurs de ma vie s’élèvent à cinq, je crois, et, fort heureusement, remontent toutes à ma première jeunesse. J’ai dit les trois premières : le serpent d’Amiens, une ; les deux couleuvres de Saint-Remy, deux ; madame de Genlis, trois.

Passons à la quatrième.

Je jouais aux billes à la porte d’un marchand épicier nommé Lebègue, qui, pendant ce temps-là, étendait et grattait du chocolat sur un marbre avec un de ces longs couteaux pliants qu’on appelle, je crois, spatules. Je me pris de dispute avec mon partenaire. Nous nous gourmâmes. Notez bien que, devant les coups de poing, je n’étais jamais poltron. Il était