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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

cyprès ; de nouvelles roses fleurissaient près des anciennes roses ; ma mère versait quelques larmes de plus, et tout était dit.

Nos tombes, à nous, étaient près de la tombe de Demoustier. Son épitaphe est la première inscription tumulaire que j’aie lue. Elle avait été composée par Legouvé.

La voici :

SOUS CETTE PIERRE REPOSE DU SOMMEIL DU JUSTE
CHARLES-ALBERT DEMOUSTIER,
MEMBRE ASSOCIÉ DE L’INSTITUT NATIONAL,
NÉ, À VILLERS-COTTERETS, LE 31 MARS 1760,
ET DONT L’ÂME PAISIBLE RETOURNA AU SEIN DE L’IMMORTALITÉ
LE 11 VENTÔSE AN IX DE LA RÉPUBLIQUE (2 MARS 1801).

En ces mots l’amitié consacra son histoire :
Il montra les talents aux vertus réunis ;
Son esprit lui donna la gloire,
Et sa belle âme des amis.

REPOSE EN PAIX, OMBRE CHÉRIE !

En effet, si une ombre doit reposer en paix, c’est bien celle de ce bon et spirituel Demoustier, dont tout Villers-Cotterets vénérait la mémoire. Ma mère me disait souvent que jamais homme plus doux, plus sympathique, plus charmant n’avait existé. Il voyait, à quarante et un ans, juste l’âge où mon père est mort, venir la fin de toutes choses avec cette douce et pieuse tranquillité des bonnes natures. La veille de sa mort, ma mère était près de son lit, et, sans en avoir, essayait de lui donner des espérances. Il lui souriait doucement, et regardait un rayon de ce beau soleil de printemps, qui n’est pas encore le soleil véritable, mais un premier sourire de la nature.

Demoustier mit la main sur sa main, et, la regardant :

— Chère madame Dumas, lui dit-il, il ne faut pas se faire illusion : le bouillon ne passe plus, le lait ne passe plus, l’eau ne passe plus, il faut bien que je passe.