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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

mon ami. Il fit approcher un fiacre, s’y enferma, et cria par la portière :

M. Camusat, à la Râpée !

Hiraux savait une chose que je ne sais pas, ce qui fait qu’à sa place j’eusse été fort embarrassé ; il savait l’adresse de Camusat, de sorte qu’il descendit droit chez lui.

Camusat était long et mince comme son oncle ; il lui donna redingote, gilet et pantalon.

Puis, en outre, il lui prêta vingt francs pour m’acheter un violon, et quinze francs pour revenir.

Avec ces quinze francs, Hiraux m’apporta un violon un peu raccommodé au manche, mais assez sain dans tous ses organes essentiels.

Des aventures d’Hiraux, je ferais tout un livre, et, si je le voulais, un livre bien autrement amusant que beaucoup de livres que je connais.

Mais je me bornerai à la dernière et à la plus triste de ces aventures. C’est qu’au bout de trois ans de leçons chez Hiraux, je ne savais pas mettre mon violon d’accord !

En reconnaissant chez moi pour la musique cette phénoménale antipathie, Hiraux déclara à ma pauvre mère désolée que ce serait lui voler son argent que de tenter plus longtemps de faire de moi un musicien.

Je renonçai donc au violon.

Pauvre Hiraux ! après cette vie si agitée, il dort aujourd’hui du paisible sommeil de la mort dans ce charmant cimetière de Villers-Cotterets, plein d’arbres verts, de saules pleureurs et de fleurs épanouies !


XXIV


La chienne porte-falot. — L’épitaphe de Demoustier. — Mon premier maître d’armes. — Le roi boit. — Quatrième terreur de ma vie. — Le tonneau de miel.

Au milieu de tout ce que nous venons de raconter, ma mère avait fait deux nouvelles pertes non moins douloureuses