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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

déclarèrent qu’ils se trouvaient trop bien pour quitter le château, et que, dès que le général avait la bonté de leur offrir des lits, ils acceptaient, en invitant Hiraux à en faire autant.

Mais Hiraux n’avait garde d’accepter ; il flairait la compagnie, et devinait tout un monde de farces. Il déclara donc que son dessein de battre en retraite était immuable, et, prenant sa canne et son chapeau, il salua la société et partit.

Nos jeunes gens attendaient ce départ avec impatience. À peine la grande porte du château se fut-elle refermée sur le voyageur nocturne, qu’ils sortirent par la petite porte, et, le devançant à l’aide d’un chemin de traverse, allèrent s’embusquer au coin de la forêt.

Il faisait un clair de lune magnifique. Suivant l’habitude des gens qui ont peur, Hiraux chantait ; mais, pour faire foi de ses habitudes pacifiques, au lieu de chanter quelque joyeuse chanson ou quelque vaillant hymne de guerre, Hiraux chantait le chant grégorien.

Tout à coup, deux hommes masqués débouchent du bois, lui sautent au collet, et lui demandent la bourse ou la vie.

On dit qu’il n’y a rien de plus dangereux qu’un poltron qui se fâche ; il parait qu’Hiraux avait quelque chose dans sa bourse et tenait à sa vie ; car, pour toute réponse, il fit un pas en arrière et tira son épée.

Il y avait de quoi désarçonner Roland et les onze pairs de Charlemagne.

Hiraux trouva ce que ni les uns ni les autres de ces preux paladins n’eussent certainement pas trouvé.

— Vous voyez bien, mes amis, dit Hiraux en montrant la plume de paon à ceux qui l’attaquaient, vous voyez bien que je ne voulais pas vous faire de mal.

Il n’y avait pas moyen de tenir à une pareille bonhomie. Les éclats de rire succédèrent aux menaces, les masques tombèrent, et, après qu’on eut donné aux jambes d’Hiraux le temps de se remettre, tous trois revinrent amicalement à la ville, et Hiraux compta une aventure de plus sur ses tablettes.

Hiraux m’avait tant fait rire dans ma jeunesse, j’aimais tant Hiraux, que, ma sympathie pour le musicien l’emportant sur