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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

faire le tour du couvent, se répandre même au dehors, et promit tout bas de se venger.

On se rappelle l’histoire du maréchal de Montluc, et cette fameuse pendaison de huguenots qu’il fit en passant, je ne me souviens plus dans quelle ville.

D’ailleurs, si on ne se la rappelle pas, je vais la raconter.

Le maréchal de Montluc passait donc par cette ville dont j’ai oublié le nom, lorsqu’il crut avoir à se plaindre de certains juges qui, en vertu de cet axiome : Cedant arma togæ, avaient négligé de lui rendre les honneurs qu’il prétendait lui être dus.

Il s’agissait de faire repentir les juges de cette impertinence.

Le maréchal s’informa de ce que les juges avaient à faire, et il apprit que, le lendemain, ils se promettaient grand plaisir à juger une douzaine de huguenots qui avaient été pris les armes à la main, et qui attendaient leur jugement dans les prisons de la ville.

Aussitôt, le maréchal de Montluc, avec bonne escorte, se rend aux prisons, se les fait ouvrir, enfonce douze clous dans les solives, y attache douze cordes, et, à ces douze cordes, pend les douze huguenots.

« Et qui fut bien attrapé le lendemain, dit le maréchal dans ses Mémoires, ce furent mes juges, qui ne trouvèrent plus rien à juger. »

Hiraux punit les cuisiniers à peu près de la même manière que le maréchal de Montluc avait puni les juges. Il se glissa dans la pharmacie du couvent, s’empara d’une copieuse dose de jalap, et la mêla aux sauces du cuisinier.

Si Hiraux eût laissé des mémoires, il eût mis sans doute, comme le maréchal de Montluc :

« Le lendemain, qui fut bien attrapé, ce furent mes marmitons, qui virent leurs moines purgés de fond en comble ; ni plus ni moins que s’ils eussent avalé triple dose de la médecine Leroy. »

Cela arriva justement le jour de l’Épiphanie.

Il y eut, comme on le pense bien, grande rumeur dans l’abbaye. Tout un couvent ne se purge pas en effet le jour des