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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le catafalque avait fait un mouvement.

D’abord Hiraux crut qu’il s’était trompé et essaya de se rassurer avec le raisonnement ; mais que pouvait faire le raisonnement contre la réalité ? Non-seulement le catafalque avait remué, mais encore le catafalque venait droit à lui ! Hiraux voulut crier : sa voix, comme celle du héros de Virgile, s’arrêta dans son gosier ; et, voyant que le catafalque continuait de venir droit à lui, les jambes lui manquèrent, il glissa le long du mur, appui inutile, et tomba évanoui.

À trois heures du matin, l’église s’ouvrit pour les matines ; Hiraux était encore à la même place, aussi immobile que s’il était mort. Il était bien revenu à lui ; mais, quoiqu’il eût retrouvé le catafalque à sa place, il n’osait bouger, de peur que le catafalque ne bougeât aussi.

Le frère sacristain, s’entendant appeler d’une voix étouffée, se dirigea vers le point de l’église d’où partait la voix ; il trouva Hiraux la face contre terre, glacé et baigné de sueur tout à la fois.

Mais, en allant à Hiraux, il trouva encore autre chose gisant à terre comme lui.

Il trouva un bonnet de coton.

Or, Hiraux, tout en racontant au sacristain l’horrible apparition nocturne, Hiraux fixait les yeux sur le bonnet de coton, que l’homme d’Église tenait à la main, et, grâce à ce bonnet dénonciateur, une lueur pénétrait de plus en plus dans son esprit, éclairant ce chaos de terreur qui l’avait bouleversé.

Aussi, au fur et à mesure qu’Hiraux faisait son récit, l’effet surnaturel prenait à ses yeux une cause naturelle, et, en revoyant — en compagnie de son ami le sacristain, et guidé par le bonnet de coton comme par un fil conducteur, — ses épouvantes de la nuit, il demeura convaincu que, si le catafalque avait bougé, avait marché, était venu à lui, c’est que le frère cuisinier, et peut-être bien deux de ses marmitons s’étaient glissés dessous, et lui avaient prêté leurs jambes.

On n’a pas été élevé dans un couvent sans être doué d’une certaine dose de rancune. Hiraux ne dit rien, ne fit part de ses soupçons à personne, laissa rire de sa terreur, laissa l’histoire