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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

piquât ; mais, quand la dernière fut envolée, quand il leva les yeux, quand il aperçut sa femme, ses enfants, ses domestiques échelonnés sur l’escalier de la cuisine et le regardant, il y eut une éruption de mille tonnerres, et autres jurons, dont la maison fut huit jours à se remettre.

Quant à nous, la façon dont nous disparûmes tenait de la magie ; on eût dit que la terre s’était ouverte sous nos pieds, et que nous nous étions engloutis.

Et ce qu’il y avait de remarquable dans tout cela, c’est que les tempêtes n’avaient jamais d’autre résultat que force nuages et éclairs ; mais de grêle, mais de foudre, néant. Personne n’a mémoire que M. Deviolaine ait jamais allongé un coup de pied même à un chien, à moins que son chien ne fût hors de la portée de son pied.

Outre cette maison, M. Deviolaine avait, au milieu d’une charmante petite plaine, entourée de tous côtés par la forêt, une autre propriété appelée Saint-Remy.

Oh ! Saint-Remy mérite une description toute particulière ; car c’étaient les grands jours de fête que ceux où l’on allait à Saint-Remy.

Saint-Remy était un ancien couvent de femmes ; à quel ordre appartenait-il ? Je n’en sais plus rien. Je me rappelle seulement le portrait de l’abbesse, dans un cadre au-dessus de la cheminée de la grande salle : c’était une belle femme, toute vêtue de noir, avec un cordon bleu soutenant une croix ; ronde et potelée, grasse de cette graisse qui n’appartient qu’aux embonpoints séraphiques ; elle avait un nom de noblesse que l’on savait là-bas, et que j’ai oublié.

Ce couvent avait été peuplé jusqu’en 1791 ou 1792 ; puis était venue la loi qui abolissait les vœux ; toutes les colombes du Seigneur avaient alors pris leur volée, et M. Deviolaine avait, je crois, acheté le couvent comme bien ecclésiastique.

De ce couvent restait un cloître immense, moins grand peut-être cependant que je ne le vois en souvenir ; les yeux des enfants ont, sous ce rapport, d’étranges mirages : l’espace, c’est pour eux l’infini. Outre ce cloître, de grands escaliers à rampes de fer, qui conduisaient aux anciens appartements de