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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pour suivre les ordonnances des médecins. La maladie qui l’emporte au tombeau est la suite des mauvais traitements qu’il a éprouvés à Naples, à son retour d’Égypte. Il a eu la consolation d’apprendre, le jour de sa mort, que ce pays était conquis par les Français ; mais cette satisfaction ne l’a point consolé de la privation d’avoir été à même de terminer ses jours au champ d’honneur. Depuis qu’il n’est plus en activité, comme pendant sa maladie, il n’a cessé de former des vœux pour la prospérité des armes de la France. C’était un spectacle touchant que de lui entendre exprimer, quelques heures avant sa mort, que, pour le sort de sa femme et de ses enfants, il voudrait être enterré dans les champs d’Austerlitz. En effet, mon cher cousin, il les laisse sans aucun moyen d’existence ; sa maladie a consommé le peu de ressources qui lui restaient.

» Ma femme est allée reconduire madame Dumas, sa parente, à Antilly, où elle passera quelques jours, tandis que nous allons nous occuper de rendre, autant que possible, au général les honneurs funèbres que les grades qu’il a occupés, sa bravoure et l’amitié de ses concitoyens lui ont mérités.

» En me chargeant de vous annoncer cette triste et malheureuse nouvelle, j’ai dit à madame Dumas que je vous inviterais d’en faire part aux compagnons d’armes de son mari ; la part qu’ils voudront bien y prendre adoucira un peu l’amertume de ses chagrins.

» Je vous remercie bien, mon cher cousin, de l’extrait de mort du maréchal des logis Lasne. S’il n’est pas suffisamment en règle, j’aurai l’honneur de vous en informer.

» Recevez, mon très-cher cousin, l’assurance de mon dévoué attachement.

» Deviolaine. »

M. Deviolaine n’avait nullement exagéré l’état de détresse où nous nous trouvions. Mon père n’avait pour toute fortune que son traitement de retraite de quatre mille francs ; la pension de ma sœur enlevait d’abord douze cents francs là-dessus ; restaient deux mille huit cents francs pour subvenir aux frais de maladie, aux voyages d’un mourant tourmenté de ce be-