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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Un tableau avait été commandé, représentant l’entrée de mon père dans la grande mosquée, le jour de la révolte du Caire, que mon père avait apaisée ; en leur absence à tous, comme il le leur écrivait lui-même. À mon père, on substitua ce grand hussard blond, qui n’est le portrait de personne, et qui, n’ayant rien dit aux yeux des contemporains, ne dira rien à ceux de la postérité.

On verra plus tard que cette haine s’étendit à moi, et que, malgré les démarches qui furent faites en ma faveur par les anciens amis de mon père, je ne pus jamais obtenir mon entrée dans aucune école militaire, ni dans aucun collège civil.

Au reste, mon père, l’homme du camp de Maulde, l’homme du camp de la Madeleine, l’homme du mont Cenis, l’homme du siège de Mantoue, l’homme du pont de Brixen, l’homme de la révolte du Caire, l’homme que Bonaparte avait fait gouverneur du Trévisan et qu’il avait présenté au Directoire comme l’Horatius Coclès du Tyrol, mon père mourait sans avoir été fait simple chevalier de la Légion d’honneur.

Il n’était donc pas étonnant que l’âme de mon père, avant de remonter au ciel, se fût arrêtée une seconde sur son pauvre enfant, qu’il laissait si dépouillé de toute espérance sur la terre.

Que devins-je au milieu de cette tempête de douleur qui soufflait autour de moi ? Quelle part prit à la mort cette vie qui commençait à peine ? C’est ce que j’ignore complètement ; je ne me souviens que du moment où ma mère me prit dans ses bras, comme je l’ai dit, et m’emporta.

Une lettre de M. Deviolaine, qui annonce la mort de mon père au général Pille, son ami, me guide seule dans cette obscurité, et m’apprend que nous nous réfugiâmes à Antilly.

Voici cette lettre :

« Viilers-Cotterets, 27 février 1806.
» Mon cher cousin,

» Je ne croyais pas avoir à vous annoncer sitôt la mort du brave et malheureux général Dumas. Il a fini sa carrière hier à onze heures du soir, à Viilers-Cotterets, où il était revenu