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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rendre à mon tour le service que m’sieu votre père m’a rendu, il y a tantôt quarante-six ou quarante-sept ans.

Comme on le comprend bien, mon père accepta cette offre, qui sentait son Richelieu des pieds à la tête.

La rencontre eut lieu dans le jardin même du pavillon de Hanovre ; l’adversaire de mon père reçut un coup d’épée à travers l’épaule.

Cette aventure devait réunir les deux vieux amis ; le duc de Richelieu demanda au fils des nouvelles du père et apprit que le marquis de la Pailleterie, après avoir habité Saint-Domingue pendant près de vingt ans, était revenu en France et habitait maintenant Saint-Germain en Laye.

Une invitation fut envoyée au marquis de la Pailleterie de venir voir le duc au pavillon de Hanovre.

Comme on pense bien, mon grand-père n’y manqua point. Ces deux héros de la Régence parlèrent longuement de leurs campagnes et de leurs amours ; puis, au dessert, la conversation tomba sur mon père, et il fut convenu que le maréchal saisirait la première occasion qui se présenterait de placer dans l’armée le fils de son vieil ami.

Il était écrit que la carrière militaire de mon père s’ouvrirait sous de moins illustres auspices.

Vers cette époque, mon grand-père épousa en secondes noces Marie-Françoise Retou, sa femme de charge ; il avait alors soixante et quatorze ans.

Ce mariage amena un refroidissement entre le fils et le père.

Il résulta de ce refroidissement que le père serra plus que jamais les cordons de sa bourse et que le fils s’aperçut, un matin, que la vie de Paris sans argent était une sotte vie.

Il alla donc trouver le marquis et lui annonça qu’il venait de prendre une résolution.

— Laquelle ? demanda le marquis.

— Celle de m’engager.

— Comme quoi ?

— Comme soldat.

— Où cela ?