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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

La maison, comme on le voit, n’était donc en réalité qu’un boyau, composé de la forge donnant sur la rue de Soissons ; d’une cour intérieure venant après la forge ; du logis, qui consistait en une chambre à coucher meublée d’ordinaire d’un grand lit à baldaquin de serge verte, d’une grande armoire de  noyer, d’une table, de quelques chaises, et surmeublée, pour cette nuit, d’un petit lit qu’on m’avait improvisé sur deux chaises, et qu’on avait placé en face du grand. Après cette chambre à coucher venait la cuisine, demeure habituelle d’un gros chat appelé le Docteur, à la grille duquel je faillis un jour laisser un de mes yeux. Enfin, après la cuisine, un petit jardin ombragé de quelques arbres, et encombré de beaucoup de pierres, jardin qui ne rapportait absolument que des orties, auquel on n’avait jamais songé à faire rapporter autre chose, et qui donnait sur la place du Château.

Il résultait de cette disposition que, du moment où la porte de la forge, donnant sur la rue de Soissons, et la porte du jardin, donnant sur la place du Château, étaient fermées, la maison d’habitation, à moins qu’on ne franchit les murs, était inabordable.

J’étais donc resté chez ma cousine Marianne, sans faire aucune difficulté d’y rester. J’aimais aller à la forge, où un garçon, nommé Picard, s’occupait beaucoup de moi. J’y faisais des feux d’artifice avec de la limaille de fer, et les ouvriers, Picard particulièrement, me racontaient des histoires qui me paraissaient fort intéressantes.

Je restai à la forge assez avant dans la soirée ; la forge avait, le soir, des reflets fantastiques et des jeux de lumière et d’ombre qui me plaisaient infiniment. Vers huit heure, ma cousine Marianne vint m’y chercher, me coucha dans le petit lit en face du grand, et je m’endormis de ce bon sommeil que Dieu donne aux enfants, comme la rosée au printemps.

À minuit, je fus réveillé, ou plutôt, nous fûmes réveillés, ma cousine et moi, par un grand coup frappé à la porte. Une veilleuse brûlait sur une table de nuit ; à la lueur de cette veilleuse, je vis ma cousine se soulever sur son lit, très-effrayée, mais sans rien dire.