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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Voici la lettre d’envoi de M. Deviolaine, inspecteur de la forêt :

« Je reçois, au moment de partir pour la forêt, une permission de chasse à tir que M. Collard m’adresse pour le général Dumas ; je m’empresse de la lui envoyer en lui souhaitant le bonjour et en désirant bien vivement que sa santé lui permette bientôt d’en user.
xxxx « Nos amitiés à madame Dumas.

» Deviolaine.
» Ce 24 février 1806. »

En supposant même que mon père se portât bien, on lui envoyait, de manière à ce qu’il la reçût le 24 février seulement, une permission valable jusqu’au 6 mars.

C’étaient donc douze jours de chasse qu’on lui accordait.

Mon père jeta sur une table la lettre et la permission. Ma mère les enferma dans son portefeuille. Quarante-quatre ans après, je viens de les y retrouver l’une dans l’autre.

La veille, mon père, voulant vaincre la douleur, était monté à cheval. Mais, cette fois, le vainqueur avait été vaincu ; il avait, au bout d’une demi-heure, été forcé de revenir.

À partir de ce moment, mon père se mit au lit, et ne se releva plus.

Ma mère sortit pour aller chercher le médecin.

Alors mon père resta seul avec une voisine à nous, madame Darcourt, excellente femme, dont j’aurai l’occasion de parler ; mon père eut comme un instant de délire et de désespoir.

— Oh ! s’écria-t-il, faut-il qu’un général qui, à trente-cinq ans, a commandé en chef trois armées, meure à quarante ans dans son lit, comme un lâche ! Ô mon Dieu ! mon Dieu ! que vous ai-je donc fait pour me condamner si jeune à quitter ma femme et mes enfants ?

Puis, après quelques minutes d’affaissement :

— Tenez, ma bonne madame Darcourt, dit-il, voici une canne qui m’a sauvé la vie dans les prisons de Brindisi, quand ces brigands de Napolitains ont voulu m’y assassiner. Veillez