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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Celui-ci s’installa dans son appartement, sortant avec lui, ne le quittant pas plus que son ombre.

Trois jours après, mon père fut assigné à comparaître devant M. le duc de Richelieu, qui alors habitait le fameux pavillon de Hanovre.

On sait que les Parisiens avaient baptisé ainsi l’hôtel que N. de Richelieu avait fait bâtir au coin du boulevard et de la rue Louis-le-Grand, parce qu’ils prétendaient, et peut-être n’était-ce pas sans raison, que la guerre de Hanovre en avait fait les frais.

Mon père s’appelait alors le comte de la Pailleterie ; — nous dirons bientôt à quelle occasion il renonça à ce nom et à ce titre. — Ce fut donc sous ce nom et sous ce titre que mon père fut annoncé chez le maréchal.

Ce nom éveilla un double souvenir dans l’esprit et dans le cœur du vainqueur de Mahon.

— Oh ! oh ! dit-il, en se renversant dans son fauteuil, seriez-vous par hasard le fils du marquis de la Pailleterie, un ancien ami à moi, qui fut, pendant le siège de Philipsbourg, mon témoin dans le duel où j’eus le malheur de tuer le prince de Lixen ?

— Oui, monseigneur.

— Alors, m’sieu, — c’était la manière du duc de Richelieu de prononcer le mot monsieur — vous êtes le fils d’un brave gentilhomme, vous devez avoir raison ; contez-moi votre affaire.

Mon père raconta l’événement tel que nous venons de le raconter nous-même.

Il y avait, entre cette affaire et celle de M. de Richelieu avec son cousin une trop grande analogie pour que le maréchal n’en fût point frappé.

— Oh ! oh ! fit-il, et vous affirmez que cela s’est passé ainsi, m’sieu ?

— Sur ma foi de gentilhomme, monseigneur.

— Il vous faut une réparation alors, et, si vous voulez aujourd’hui m’accepter pour témoin, je serai enchanté de vous