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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tre enfant, ma mère avait plus qu’une autre mère, la crainte de me voir tomber, et demandait conseil à tout le monde afin de me faire marcher d’une façon plus chrétienne.

Je crois que c’était M. Collard qui avait donné à ma mère le conseil de me mettre des sabots.

Un jour, je renonçai à marcher sur la pointe du pied, et je marchai comme tout le monde. Il va sans dire que je ne donnai jamais aucune raison ni du caprice ni de la cause qui m’avaient fait y renoncer.

Seulement, ce fut une grande joie pour la maison, et l’on fit part de cet heureux événement aux amis et aux connaissances.

M. Collard fut un des premiers informés.

Cependant la santé de mon père allait empirant. On lui parla d’un médecin de Senlis, qui avait une certaine réputation dans les environs, et que l’on nommait M. Duval. Nous allâmes à Senlis.

Ce voyage n’a laissé aucun souvenir dans mon esprit, et je n’en trouve d’autre trace qu’une lettre de ma mère qui recommande, pendant l’absence qu’elle va faire, un procès à son avoué.

M. Duval donna, à ce qu’il paraît, à mon père le conseil d’aller à Paris pour consulter Corvisart. Mon père comptait faire ce voyage depuis longtemps. Il voulait voir Brune ; il voulait voir Murat ; il espérait obtenir par eux l’indemnité qui lui était due comme prisonnier à Brindisi, et, de plus, se faire ordonnancer le payement de sa solde arriérée de l’an vii et de l’an viii.

Nous partîmes pour Paris.

Oh ! ce voyage, c’est autre chose, je me le rappelle parfaitement ; non pas précisément le voyage dans sa partie de locomotion, au contraire, je me vois tout arrivé à Paris. C’était vers le mois d’août ou de septembre 1805. Nous étions descendus rue Thiroux, chez un nommé Dollé, ami de mon père.

C’était un petit vieillard, portant redingote grise, culottes de velours, bas de coton chinés, souliers à boucles ; il était coiffé en ailes de pigeon, et avait une petite queue serrée d’un ru-