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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Et Mocquet tira son brûle-gueule de sa bouche, ce qu’il ne faisait que rarement et dans les circonstances graves.

Ce brûle-gueule était devenu non pas un accessoire de Mocquet, mais une partie intégrante de Mocquet.

Jamais nul ne pouvait dire avoir vu Mocquet sans son brûle-gueule. Quand, par hasard, il ne le tenait pas à la bouche, il le tenait à la main.

Ce brûle-gueule, destiné à accompagner Mocquet au milieu des fourrés les plus épais, devait présenter le moins de prise possible aux corps solides, qui pouvaient amener son anéantissement.

Or, l’anéantissement d’un brûle-gueule bien culotté était pour Mocquet une perte que les années seules pouvaient réparer.

Aussi, la tige du brûle-gueule de Mocquet ne dépassait jamais cinq ou six lignes, et encore pouvait-on toujours, sur les cinq ou six lignes, parier pour moitié en tuyau de plume.

Cette habitude de ne pas quitter sa pipe, laquelle avait creusé son étau entre les incisives de Mocquet, avait amené chez lui une autre habitude, qui était celle de parler les dents serrées, ce qui donnait un caractère d’entêtement particulier à tout ce qu’il disait ; car alors rien n’empêchait plus ses dents de se rejoindre.

— Et depuis quand es-tu cauchemardé, mon pauvre Mocquet ? demanda mon père.

— Depuis huit jours, général.

— Et par qui ?

— Oh ! je sais bien par qui, dit Mocquet, les dents plus serrées que jamais.

— Mais, enfin, peut-on le savoir ?

— Par cette vieille sorcière de mère Durand, général.

— Par la mère Durand d’Haramont ?

— Oui, par elle.

— Diable ! Mocquet, il faut faire attention à cela !

— Je fais attention aussi, et elle me le payera, la vieille taupe.