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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Oh ! oh ! dit le prince de Lixen, c’est vous, mon cousin ? Vous voilà bien crotté ; vous l’êtes un peu moins cependant, depuis que vous avez épousé ma cousine.

M. de Richelieu arrêta court son cheval, mit pied à terre, invita mon grand-père à en faire autant, et, s’avançant vers le prince de Lixen :

— Monsieur, lui dit-il, vous m’avez fait l’honneur de m’adresser la parole.

— Oui, monsieur le duc, répondit le prince.

— Je puis, je crois même, avoir mal entendu ce que vous m’avez fait l’honneur de me dire. Vous plairait-il de me répéter les mêmes paroles sans y changer une syllabe ?

Le prince de Lixen s’inclina en signe d’acquiescement et répéta mot pour mot la même phrase qu’il avait déjà prononcée.

Elle avait un tel caractère d’insolence, qu’il n’y avait pas d’arrangement possible. M. de Richelieu salua M. de Lixen et mit l’épée a la main.

Le prince en fit autant.

Le prince de Pont se trouva naturellement le témoin de son frère le prince de Lixen, et mon grand-père celui du duc de Richelieu.

Au bout d’une minute, M. de Richelieu passait son épée au travers du corps du prince de Lixen, lequel tomba roide mort entre les bras du prince de Pont[1].

Quarante-cinq ans s’étaient passés depuis cet événement. M. de Richelieu, doyen des maréchaux de France, avait été nommé président du tribunal du point d’honneur en 1781, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

Il en avait donc, quatre-vingt-sept quand arriva l’anecdote que nous allons raconter.

  1. L’anecdote a été écrite autrement ; mais je la trouve consignée comme je viens de la raconter — dans les papiers de mon père — avec cette note d’une autre main que la sienne : Le général tenait l’anecdote du duc de Richelieu lui-même. J’ai donc dû adopter ou plutôt conserver cette version.