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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

» Ce médecin s’appelait Carlin, et parlait parfaitement français.

» Son début m’inquiéta : ce fut un déluge de protestations de dévouement, d’assurances de sympathie trop exagérées pour être vraies. Il m’examina avec la plus scrupuleuse attention, déclara que mes soupçons n’étaient pas fondés le moins du monde, et que j’étais atteint d’une maladie de langueur.

» Au reste, il désapprouvait en tous points le traitement que m’avait fait suivre le médecin mort, le traitant d’ignorant et d’imbécile, m’ordonnant des injections dans les oreilles, et me faisant prendre, tous les matins, une demi-once de crème de tartre.

» Au bout de huit jours, ma surdité, qui commençait à disparaître, était revenue, et mon estomac était tellement surexcité, que toute digestion était devenue impossible.

» Carlin me visitait régulièrement, parlait beaucoup, affectait un patriotisme exagéré et une grande sympathie pour les Français ; mais, comme toutes ses démonstrations, au lieu d’exciter ma confiance, me rendaient de plus en plus circonspect, le gouverneur inventa un moyen qu’il crut devoir être efficace : c’était de défendre à Carlin l’entrée de ma prison, sous prétexte qu’il me servait à entretenir des intelligences avec les patriotes italiens.

» J’avoue que je fus dupe de ce stratagème. Mon état empirait chaque jour ; je réclamai Carlin de toutes mes forces ; mais le directeur feignit la plus grande rigueur à son égard, et, le tenant toujours éloigné de moi, m’envoya un autre médecin.

» Celui-là, comme son prédécesseur, désapprouva complètement le régime que je suivais, disant que les injections d’oreilles qu’on me faisait faire, par exemple, n’étaient bonnes qu’à redoubler ma surdité, en irritant la membrane si délicate du tympan. En outre, il me fit préparer lui-même des potions qu’il m’apporta en me venant visiter, et à la suite desquelles j’éprouvai un mieux sensible ; seulement, j’eus l’imprudence d’avouer ce mieux, et, comme ce n’était point