Page:Dumas - Mes mémoires, tome 1.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

» Trois jours après, le médecin mourut. Il avait manqué son coup, il fallait prévenir son indiscrétion.

» Le médecin, le jour où il m’avait rendu visite, avait fait pour le général Manscourt, atteint d’une affection scorbutique, une ordonnance que celui-ci se garda bien de suivre, voyant l’état où m’avaient mis les biscuits envoyés par ce misérable ; sans doute, cette abstention lui sauva la vie.

» Mais sa mort était résolue comme la mienne ; seulement, on eut recours pour lui à un autre moyen.

» Une poudre fut mêlée à son tabac, qui commença dès lors à lui donner de violents maux de tête et ensuite quelques attaques de folie. Le général Manscourt ne savait à quoi attribuer ces accidents, lorsque j’eus l’idée de visiter la boîte dans laquelle il enfermait son tabac. La poudre qu’on y avait mêlée était tellement corrosive, que le fond de la boîte était troué en plusieurs endroits, et que des parcelles de fer-blanc, dans la proportion d’un vingtième à peu près, étaient mêlées au tabac.

» J’eus encore recours à mon Médecin de campagne : il recommandait la saignée. Le général Manscourt se fit tirer du sang à trois reprises différentes, et fut soulagé.

» Cependant, à la suite de mon empoisonnement, j’avais été atteint de surdité, : un de mes yeux avait perdu complètement la faculté de voir, et la paralysie avait fait des progrès.

» Ce qu’il y avait de remarquable, et ce qui prouve la présence d’un agent destructeur, c’est que tous ces symptômes de caducité me frappèrent à trente-trois ans et neuf mois.

» Quoique l’essai que je venais de faire d’un premier médecin ne me donnât pas une grande confiance dans un second, l’état de marasme où j’étais tombé me força de recourir au gouvernement et de réclamer de nouveau le secours de la science.

» En conséquence, je fis venir ce second docteur et lui demandai si je ne pourrais pas consulter un chirurgien français qui arrivait d’Égypte avec de nouveaux prisonniers ; mais ma demande me fut refusée et force me fut de me contenter du médecin du château.