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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

l’Égypte ; nous résolûmes de continuer notre route en livrant au vent le plus de voiles possible.

» Mais plus nous allions vite, plus nous fatiguions le bâtiment, plus les voies d’eau devenaient considérables, et plus enfin il devenait impossible de les combattre. 

» Le troisième jour de notre navigation, la situation était presque désespérée,

» Ce jour-là, on jeta successivement à la mer les dix pièces de canon qui armaient notre bâtiment et faisaient notre défense.

» Le lendemain, on y jeta neuf de mes chevaux arabes, puis tous les ballots de café, et jusqu’à nos malles et à celles des autres passagers.

» Malgré cet allégement, le navire s’enfonçait de plus en plus ; on prit hauteur, on s’aperçut qu’on était à l’entrée du golfe Adriatique, et, dans un conseil tenu par les marins et les officiers qui se trouvaient à bord, il fut décidé que l’on gagnerait, sans perdre un seul instant, la terre la plus proche et le port le plus voisin.

» Cette terre, c’était la Calabre ; ce port, c’était Tarente. 

» Le dixième jour, on eut connaissance de la terre. Il était temps ! vingt-quatre heures de navigation de plus, et le navire sombrait sous voiles.

» Je donnai l’ordre de mouiller à une petite île qui gisait à une lieue de la ville, à peu près. Comme nous venions d’Égypte, nous avions une quarantaine à faire, et, croyant le pays de Naples un pays ami, je tenais à me conformer aux lois sanitaires et à n’inspirer aux populations de la Calabre aucune crainte de peste.

» À peine fûmes-nous mouillés, que j’envoyai le patron du bâtiment avec une lettre adressée au gouverneur de la ville. Cette lettre lui disait qui nous étions, lui exprimait notre détresse, et réclamait de son humanité tous les secours qu’il pouvait avoir à sa disposition, secours dont nous avions le plus pressant besoin.

» Deux heures après, le capitaine était de retour ; il rapportait une réponse verbale du gouverneur. Cette réponse nous invitait à débarquer en toute confiance. La seule condi-