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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Égyptiens[1] qui vivent encore, c’est que l’on vit mon père partout.

Les premiers ordres donnés par Bonaparte eurent leur exécution vers cinq heures du soir. Le bruit du canon tonnant dans les rues principales, le bruit d’une batterie d’obusiers établie sur le Mokkan, le bruit du tonnerre enfin, bruit si rare au Caire, qu’il épouvanta les révoltés, annonça que la résistance, jusqu’alors partielle, et pour ainsi dire instinctive, prenait de l’accroissement, et surtout une direction.

La nuit interrompit le combat. C’est un point de religion, chez les Turcs, de ne pas poursuivre la bataille pendant l’obscurité. Bonaparte profita de la nuit pour prendre toutes ses dispositions.

Au lever du soleil, la révolte vivait encore, mais les révoltés étaient perdus.

Bon nombre d’entre eux, et surtout les principaux chefs, s’étaient réfugiés dans la grande mosquée. Mon père reçut l’ordre d’aller les y attaquer, et de frapper ainsi au cœur ce qui restait de l’insurrection.

Les portes furent brisées à coups de canon, et mon père, lançant son cheval au grand galop, entra le premier dans la mosquée.

Le hasard fit qu’en face de la porte, c’est-à-dire sur la route que parcourait dans sa course le cheval de mon père, se trouvait un tombeau élevé de trois pieds, à peu près. En rencontrant cet obstacle, le cheval s’arrêta court, se cabra, et, laissant retomber ses deux pieds de devant sur le tombeau, demeura un instant immobile, les yeux sanglants et jetant la fumée par les naseaux.

— L’ange ! l’ange ! crièrent les Arabes.

Leur résistance ne fut plus que la lutte du désespoir chez quelques-uns, mais chez la plupart la résignation au fatalisme.

Les chefs crièrent :

  1. On nomme ainsi tous ceux qui firent partie de l’expédition d’Égypte.